Part 4 (1/2)
Le lendemain de cette journee memorable, toute la famille accompagna le pet.i.t Chose au bateau. Par une concidence singuliere, c'etait le meme bateau qui avait amene les Eyssettes a Lyon six ans auparavant.
Naturellement on se rappela le parapluie d'Annou, le perroquet de Robinson, et quelques autres episodes du debarquement. Ces souvenirs egayerent un peu ce [24] triste depart, et amenerent l'ombre d'un sourire sur les levres de Mme Eyssette.
Tout a coup la cloche sonna. Il fallait partir.
Le pet.i.t Chose, s'arrachant aux etreintes de ses amis, franchit bravement la pa.s.serelle.
- Sois serieux, lui cria son pere.
- Ne sois pas malade, dit Mme Eyssette.
Jacques voulait parler, mais il ne put pas; il pleurait trop.
Le pet.i.t Chose ne pleurait pas, lui. La joie de quitter Lyon, le mouvement du bateau, l'ivresse du voyage, l'orgueil de se sentir homme,-homme libre, homme fait, voyageant seul et gagnant sa vie,-tout cela l'empechait de songer, comme il aurait du, aux trois etres cheris qui sanglotaient la-bas, debout sur les quais du Rhone....
Le premier soin du pet.i.t Chose, en arrivant dans sa ville natale, fut de se rendre a l'Academie, ou logeait M. le recteur.
Ce recteur, ami d'Eyssette pere, etait un grand beau vieux, alerte et sec, n'ayant rien qui sent.i.t le pedant, ni quoi que ce fut de semblable.
Il accueillit Eyssette fils avec une grande bienveillance. Toutefois, quand on l'introduisit dans son cabinet, le brave homme ne put retenir un geste de surprise.
- Ah! mon Dieu! dit-il, comme il est pet.i.t!
Le fait est que le pet.i.t Chose etait ridiculement pet.i.t; et puis l'air si jeune, si mauviette!
L'exclamation du recteur lui porta un coup terrible: ”Ils ne vont pas vouloir de moi,” pensa-t-il. Et tout son corps se mit a trembler.
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Heureus.e.m.e.nt, comme s'il eut devine ce qui se pa.s.sait dans cette pauvre pet.i.te cervelle, le recteur reprit:
- Approche ici, mon garcon.... Nous allons donc faire de toi un maitre d'etude.... A ton age, avec cette taille et cette figure-la, le metier te sera plus dur qu'a un autre.... Mais enfin, puisqu'il le faut, puisqu'il faut que tu gagnes ta vie, mon cher enfant, nous arrangerons cela pour le mieux.... En commencant, on ne te mettra pas dans une grande baraque....
Je vais t'envoyer dans un college communal, a quelques lieues d'ici, a Sarlande, en pleine montagne.... La tu feras ton apprentissage d'homme, tu t'aguerriras au metier, tu grandiras, puis nous verrons!
Tout en parlant, M. le recteur ecrivait au princ.i.p.al du college de Sarlande pour lui presenter son protege. La lettre terminee, il la remit au pet.i.t Chose et l'engagea a partir le jour meme; la-dessus, il lui donna quelques sages conseils et le congedia d'une tape amicale sur la joue en lui promettant de ne pas le perdre de vue.
Voila mon pet.i.t Chose bien content. Quatre a quatre il degringole l'escalier seculaire de l'Academie et s'en va d'une haleine retenir sa place pour Sarlande.
La diligence ne part que dans l'apres-midi; encore quatre heures a attendre! Le pet.i.t Chose en profite pour aller parader au soleil, sur l'esplanade, et se montrer a ses compatriotes. Ce premier devoir accompli, il songe a prendre quelque nourriture et se met en quete d'un cabaret a portee de son escarcelle.... Juste en face les casernes, il en avise un propret, reluisant, avec une belle enseigne toute neuve.
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_Au Compagnon du tour de France_.
- Voici mon affaire, se dit-il. Et, apres quelques minutes d'hesitation,-c'est la premiere fois que le pet.i.t Chose entre dans un restaurant,-il pousse resolument la porte.
Le cabaret est desert pour le moment. Des murs peints a la chaux..., quelques tables de chene.... Dans un coin de longues cannes de compagnons, a bouts de cuivre, ornees de rubans multicolores.... Au comptoir un gros homme qui ronfle, le nez dans un journal.
- Hola! quelqu'un! dit le pet.i.t Chose, en frappant de son poing ferme sur les tables, comme un vieux coureur de tavernes.
Le gros homme du comptoir ne se reveille pas pour si peu; mais du fond de l'arriere-boutique la cabaretiere accourt.... En voyant le nouveau client que l'ange Hasard lui amene, elle pousse un grand cri:
- Misericorde! monsieur Daniel!