Part 12 (1/2)

Quand le jeune Boucoyran s'ennuya de rester au lit, ses parents l'installerent sur une chaise longue, au plus bel endroit de leur salon, et pendant huit jours ce fut a travers ce salon une procession interminable. L'interessante victime etait l'objet de toutes les attentions.

Vingt fois de suite on lui faisait raconter son histoire, et a chaque fois le miserable inventait quelque nouveau detail. Les meres fremissaient; les vieilles demoiselles l'appelaient ”pauvre ange”! et lui glissaient des bonbons. Le journal de l'opposition profita de l'aventure et fulmina contre le college un article terrible au profit d'un etabliss.e.m.e.nt religieux des environs....

Le princ.i.p.al etait furieux, et, s'il ne me renvoya pas, je ne le dus qu'a la protection du recteur.... Helas! il eut mieux valu pour moi etre renvoye tout de suite. [71] Ma vie dans le college etait devenue impossible. Les enfants ne m'ecoutaient plus; au moindre mot, ils me menacaient de faire comme Boucoyran, d'aller se plaindre a leur pere.

Je finis par ne plus m'occuper d'eux.

[In the terrible winter that followed, Le Pet.i.t Chose frequented a good deal the Cafe Barbette. He took fencing lessons from Roger, who told him in confidence that he was deeply in love with a young lady, and asked him to write love-letters for him.]

IX

MON BON AMI LE MAiTRE D'ARMES

Un matin de ce triste hiver, comme il etait tombe beaucoup de neige pendant la nuit, les enfants n'avaient pas pu jouer dans les cours.

Aussitot l'etude du matin finie, on les avait casernes tous pele-mele dans la _salle_, pour y prendre leur recreation a l'abri du mauvais temps, en attendant l'heure des cla.s.ses.

C'etait moi qui les surveillais.

Ce qu'on appelait _la salle_ etait l'ancien gymnase du college de la Marine. Imaginez quatre grands murs nus avec de pet.i.tes fenetres grillees; ca et la des crampons a moitie arraches, la trace encore visible des ech.e.l.les, et, se balancant a la maitresse poutre du plafond, un enorme anneau en fer au bout d'une corde.

[72]

Les enfants avaient l'air de s'amuser beaucoup la dedans.

Ils couraient tout autour de la salle bruyamment, en faisant de la poussiere. Quelques-uns essayaient d'atteindre l'anneau; d'autres, suspendus par les mains, criaient; cinq ou six, de temperament plus calme, mangeaient leur pain devant les fenetres, en regardant la neige qui remplissait les rues et les hommes armes de pelles qui l'emportaient dans des tombereaux.

Mais tout ce tapage, je ne l'entendais pas.

Seui, dans un coin, les larmes aux yeux, je lisais une lettre, et les enfants auraient a cet instant demoli le gymnase de fond en comble que je ne m'en fusse pas apercu. C'etait une lettre de Jacques que je venais de recevoir; elle portait le timbre de Paris,-mon Dieu! oui, de Paris,-et voici ce qu'elle disait:

”Cher Daniel,

”Ma lettre va bien te surprendre. Tu ne te doutais pas, hein? que je fusse a Paris depuis quinze jours. J'ai quitte Lyon sans rien dire a personne, un coup de tete.... Que veux-tu? je m'ennuyais trop dans cette horrible ville, surtout depuis ton depart.

”Je suis arrive ici avec trente francs et cinq ou six lettres de M. le cure de Saint-Nizier. Heureus.e.m.e.nt la Providence m'a protege tout de suite, et m'a fait rencontrer un vieux marquis chez lequel je suis entre comme secretaire. Nous mettons en ordre ses memoires; je n'ai qu'a ecrire sous sa dictee, et je gagne a cela cent francs par mois. Ce n'est pas brillant, comme tu vois; mais, tout compte fait, j'espere pouvoir envoyer de [73] temps en temps quelque chose a la maison sur mes economies.

”Ah! mon cher Daniel, la jolie ville que ce Paris! Ici,-du moins, -il ne fait pas toujours du brouillard; il pleut bien quelquefois, mais c'est une pet.i.te pluie gaie, melee de soleil et comme je n'en ai jamais vu ailleurs. Aussi je suis tout change, si tu savais!

je ne pleure plus du tout, c'est incroyable.”

J'en etais la de la lettre, quand tout a coup, sous les fenetres, retent.i.t le bruit sourd d'une voiture roulant dans la neige. La voiture s'arreta devant la porte du college, et j'entendis les enfants crier a tue-tete: ”Le sous-prefet! le sous-prefet!”

Une visite de M. le sous-prefet presageait evidemment quelque chose d'extraordinaire. Il venait a peine au college de Sarlande une ou deux fois chaque annee, et c'etait alors comme un evenement. Mais pour le quart d'heure ce qui m'interessait avant tout, ce qui me tenait a cur plus que le sous-prefet de Sarlande et plus que Sarlande tout entier, c'etait la lettre de mon frere Jacques. Aussi, tandis que les eleves, mis en gaiete, se culbutaient devant les fenetres pour voir M. le sous-prefet descendre de voiture, je retournai dans mon coin, et je me remis a lire.

”Tu sauras, mon bon Daniel, que notre pere est en Bretagne, ou il fait le commerce du cidre pour le compte d'une compagnie. En apprenant que j'etais le secretaire du marquis, il a voulu que je place quelques tonneaux de cidre chez lui. Par malheur le marquis ne boit que du vin, et du vin d'Espagne, encore! J'ai [74] ecrit cela au pere; sais-tu ce qu'il m'a repondu:-Jacques, tu es un ane! - comme toujours.

Mais c'est egal, mon cher Daniel, je crois qu'au fond il m'aime beaucoup.

”Quant a maman, tu sais qu'elle est seule maintenant. Tu devrais bien lui ecrire, elle se plaint de ton silence.