Part 11 (1/2)

Pendant quelque temps nous vec.u.mes en a.s.sez bons termes.

M. le marquis avait bien par-ci par-la certaines facons impertinentes de me regarder ou de me repondre, mais j'affectais de n'y point prendre garde, sentant que j'avais affaire a forte partie.

Un jour, cependant, ce faquin de marquis se permit de repliquer, en pleine etude, avec une insolence telle que je perdis toute patience.

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- Monsieur de Boucoyran, lui dis-je en essayant de garder mon sang-froid, prenez vos livres et sortez sur-le-champ.

C'etait un acte d'autorite inou pour ce drole. Il en resta stupefait et me regarda, sans bouger de sa place, avec des gros yeux.

Je compris que je m'engageais dans une mechante affaire, mais j'etais trop avance pour reculer.

- Sortez, monsieur de Boucoyran!... commandai-je de nouveau.

Les eleves attendaient anxieux.... Pour la premiere fois j'avais du silence.

A ma seconde injonction le marquis, revenu de sa surprise, me repondit, il fallait voir de quel air:-”Je ne sortirai pas!”

Il y eut parmi toute l'etude un murmure d'admiration.

Je me levai dans ma chaire, indigne.

- Vous ne sortirez pas, monsieur?... C'est ce que nous allons voir.

Et je descendis....

Dieu m'est temoin qu'a ce moment-la toute idee de violence etait bien loin de moi; je voulais seulement intimider le marquis par la fermete de mon att.i.tude; mais, en me voyant descendre de ma chaire, il se mit a ricaner d'une facon si meprisante que j'eus le geste de le prendre au collet pour le faire sortir de son banc....

Le miserable tenait cachee sous sa tunique une enorme regle en fer.

A peine eus-je leve la main qu'il m'a.s.sena sur le bras un coup terrible.

La douleur m'arracha un cri.

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Toute l'etude batt.i.t des mains.

- Bravo, marquis!

Pour le coup je perdis la tete. D'un bond je fus sur la table, d'un autre, sur le marquis; et alors, le prenant a la gorge, je fis si bien, des pieds, des poings, des dents, de tout, que je l'arrachai de sa place et qu'il s'en alla rouler hors de l'etude, jusqu'au milieu de la cour....

Ce fut l'affaire d'une seconde; je ne me serais jamais cru tant de vigueur.

Les eleves etaient consternes. On ne criait plus: ”Bravo, marquis!”

On avait peur. Boucoyran, le fort des forts, mis a la raison par ce gringalet de pion! Quelle aventure!... Je venais de gagner en autorite ce que le marquis venait de perdre en prestige.

Quand je remontai dans ma chaire, pale encore et tremblant d'emotion, tous les visages se pencherent vivement sur les pupitres. L'etude etait matee.

Mais le princ.i.p.al, M. Viot, qu'allaient-ils penser de cette affaire?

Comment! j'avais ose lever la main sur un eleve! sur le marquis de Boucoyran! sur le n.o.ble du college! Je voulais donc me faire cha.s.ser!

Ces reflexions, qui me venaient un peu tard, me troublerent dans mon triomphe. J'eus peur a mon tour. Je me disais: ”C'est sur, le marquis est alle se plaindre.” Et d'une minute a l'autre je m'attendais a voir entrer le princ.i.p.al. Je tremblai jusqu'a la fin de l'etude; pourtant personne ne vint.

A la recreation je fus tres etonne de voir Boucoyran rire et jouer avec les autres. Cela me ra.s.sura un peu; et, comme toute la journee se pa.s.sa sans encombres, je [68] m'imaginai que mon drole se tiendrait coi et que j'en serais quitte pour la peur.