Part 8 (1/2)

Je lui criai: ”Va-t'en!”

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Bamban pensa que je plaisantais et continua de sourire.

Il se croyait tres beau, ce jour-la!

Je lui criai de nouveau: ”Va-t'en! va-t'en!”

Il me regarda d'un air triste et soumis, son il suppliait; mais je fus inexorable, et la division s'ebranla, le laissant seul, immobile au milieu de la rue.

Je me croyais delivre de lui pour toute la journee, lorsqu'au sortir de la ville des rires et des chuchotements a mon arriere-garde me firent retourner la tete.

A quatre ou cinq pas derriere nous Bamban suivait la promenade gravement.

- Doublez le pas, dis-je aux deux premiers.

Les eleves comprirent qu'il s'agissait de faire une niche au bancal, et la division se mit a filer d'un train d'enfer.

De temps en temps on se retournait pour voir si Bamban pouvait suivre, et on riait de l'apercevoir la-bas, bien loin, gros comme le poing, trottant dans la poussiere de la route, au milieu des marchands de gateaux et de limonade.

Cet enrage-la arriva a la Prairie presque en meme temps que nous.

Seulement il etait pale de fatigue et tirait la jambe a faire pitie.

J'en eus le cur touche, et, un peu honteux de ma cruaute, je l'appelai pres de moi doucement.

Il avait une pet.i.te blouse fanee, a carreaux rouges, la blouse du pet.i.t Chose, au college de Lyon.

Je la reconnus tout de suite, cette blouse, et dans moi-meme je me disais: ”Miserable, tu n'as pas honte? Mais c'est toi, c'est le pet.i.t Chose que tu t'amuses a martyriser ainsi.” Et, plein de larmes interieures, je [49] me mis a aimer de tout mon cur ce pauvre desherite.

Bamban s'etait a.s.sis par terre a cause de ses jambes qui lui faisaient mal.

Je m'a.s.sis pres de lui. Je lui parlai.... Je lui achetai une orange....

A partir de ce jour Bamban devint mon ami. J'appris sur son compte des choses attendrissantes....

C'etait le fils d'un marechal-ferrant qui, entendant vanter partout les bienfaits de l'education, se saignait les quatre membres, le pauvre homme! pour envoyer son enfant demi-pensionnaire au college. Mais, Helas!

Bamban n'etait pas fait pour le college, et il n'y profitait guere.

Le jour de son arrivee, on lui avait donne un modele de batons en lui disant: ”Fais des batons!” depuis un an Bamban faisait des batons.

Et quels batons, grand Dieu!...

Personne ne s'occupait de lui. Il ne faisait specialement partie d'aucune cla.s.se; en general, il entrait dans celle qu'il voyait ouverte.

Je le regardais quelquefois a l'etude, courbe en deux sur son papier, suant, soufflant, tirant la langue, tenant sa plume a pleines mains et appuyant de toutes ses forces, comme s'il eut voulu traverser la table....

A chaque baton il reprenait de l'encre, et a la fin de chaque ligne il rentrait sa langue et se reposait en se frottant les mains.

Bamban travaillait de meilleur cur maintenant que nous etions amis.