Part 7 (1/2)

En effet, quelques minutes apres, le princ.i.p.al, M. Viot et le nouveau maitre faisaient leur entree solennelle a l'etude.

Tout le monde se leva.

Le princ.i.p.al me presenta aux eleves en un discours un peu long, mais plein de dignite; puis il se retira, suivi du gros Serrieres.

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M. Viot resta le dernier. Il ne p.r.o.nonca pas de discours, mais ses clefs, frinc! frinc! frinc! parlerent pour lui d'une facon si terrible, frinc! frinc! frinc! si menacante, que toutes les tetes se cacherent sous les couvercles des pupitres et que le nouveau maitre lui-meme n'etait pas ra.s.sure.

Aussitot que les terribles clefs furent dehors, un tas de figures malicieuses sortirent de derriere les pupitres; toutes les barbes de plumes se porterent aux levres, tous ces pet.i.ts yeux, brillants, moqueurs, effares, se fixerent sur moi, tandis qu'un long chuchotement courait de table en table.

Un peu trouble, je gravis lentement les degres de ma chaise; j'essayai de promener un regard feroce autour de moi, puis, enflant ma voix, je criai entre deux grands coups secs frappes sur la table:

- Travaillons, messieurs, travaillons!

C'est ainsi que le pet.i.t Chose commenca sa premiere etude.

V

LES PEt.i.tS

Ceux-la n'etaient pas mechants; c'etaient les autres. Ceux-la ne me firent jamais de mal, et moi je les aimais bien, parce qu'ils ne sentaient pas encore le college et qu'on lisait toute leur ame dans leurs yeux.

Je ne les punissais jamais. A quoi bon? Est-ce qu'on punit les oiseaux?... Quand ils pepiaient trop [43] haut, je n'avais qu'a crier: ”Silence!” Aussitot ma voliere se taisait,-au moins pour cinq minutes.

Le plus age de l'etude avait onze ans. Onze ans, je vous demande!

Et le gros Serrieres qui se vantait de les mener a la baguette!...

Moi, je ne les menai pas a la baguette. J'essayai d'etre toujours bon, voila tout.

Quelquefois, quand ils avaient ete bien sages, je leur racontais une histoire.... Une histoire!... Quel bonheur! Vite, vite, on pliait les cahiers, on fermait les livres; encriers, regles, porte-plume, on jetait tout pele-mele au fond des pupitres; puis, les bras croises sur la table, on ouvrait de grands yeux et on ecoutait. J'avais compose a leur intention cinq ou six pet.i.ts contes fantastiques: _Les Debuts d'une cigale_, _Les Infortunes de Jean Lapin_, etc. Cela amusait beaucoup mes pet.i.ts, et moi aussi cela m'amusait beaucoup. Malheureus.e.m.e.nt M. Viot n'entendait pas qu'on s'amusat de la sorte.

Trois ou quatre fois par semaine, le terrible homme aux clefs faisait une tournee d'inspection dans le college, pour voir si tout s'y pa.s.sait selon le reglement.... Or, un de ces jours-la, il arriva dans notre etude juste au moment le plus pathetique de l'histoire de Jean Lapin. En voyant entrer M. Viot, toute l'etude tressauta. Les pet.i.ts, effares, se regarderent.

Le narrateur s'arreta court. Jean Lapin, interdit, resta une patte en l'air, en dressant de frayeur ses grandes oreilles.

Debout devant ma chaire, le souriant M. Viot promenait un long regard d'etonnement sur les pupitres degarnis. Il ne parlait pas, mais ses clefs s'agitaient [44] d'un air feroce: ”Frinc! frinc! frinc! tas de droles, on ne travaille donc plus ici!”

J'essayai, tout tremblant, d'apaiser les terribles clefs.

- Ces messieurs ont beaucoup travaille ces jours-ci, balbutiai-je....

J'ai voulu les recompenser en leur racontant une pet.i.te histoire.

M. Viot ne me repondit pas. Il s'inclina en souriant, fit gronder ses clefs une derniere fois et sort.i.t.

Le soir, a la recreation de quatre heures, il vint vers moi, et me remit, toujours souriant, toujours muet, le cahier du reglement ouvert a la page 12: _Devoirs du maitre envers les eleves_.

Je compris qu'il ne fallait plus raconter d'histoires, et je n'en racontai plus jamais.

Pendant quelques jours mes pet.i.ts furent inconsolables. Jean Lapin leur manquait, et cela me crevait le cur de ne pouvoir le leur rendre.... Le college etait divise en trois quartiers tres distincts: les grands, les moyens, les pet.i.ts; chaque quartier avait sa cour, son dortoir, son etude. Mes pet.i.ts etaient donc a moi, bien a moi.

Il me semblait que j'avais trente-cinq enfants.